(pour faire suite à ce que j'ai lu ici)
G. et moi formions un couple depuis un peu plus de trois ans. Chaque été, il allait visiter sa famille en France, suivre des cours dans des universités étrangères, se péter des trips pas possibles autour du monde. Pendant ce temps, moi je travaillais en l’attendant.
Cet été là, j’avais été engagée par une maison de production télé, quelque chose de BIG, parce que je gardais les enfants de la v-p. Le boulot en tant que tel n’avait rien d’excitant, je remplaçais la réceptionniste durant ses pauses, je faisais des photocopies et je triais des factures. Parfois, seule activité qui trouvait grâce à mes yeux, j’engueulais le responsable de la Guilde des Musiciens sous prétexte de ‘’négocier’’ avec lui les amendes qu’on nous infligeait pour avoir engagé des artistes péruviens qui ne cotisaient pas à la Guilde.
Je m’emmerdais. Mes amis profitaient des vacances pour voyager, sortir, etc, alors que je portais des tailleurs et me levais aux aurores pour aller travailler dix heures d’affilée dans un bureau où les cadres me ‘’stoolaient’’ si je jouais trop longtemps au jeu du serpent qui ne doit pas toucher sa queue sur l’ordinateur de la réception.
Je revenais vidée du travail pour trouver la maison vide, mes parents étant partis en Espagne, ou en Grèce, ou en France, je ne tiens plus un registre de leurs départs depuis longtemps. Je m’asseyais à l’ordinateur et j’écrivais à G. G. qui ne m’écrivait pas, ou si peu. Il avait toujours une bonne raison, un déplacement imprévu, un problème de connexion, etc. J’imaginais le pire, il avait rencontré quelqu’un d’autre, une fille plus vieille, plus sexy, plus wild, et qui pouvait entrer dans un bar sans avoir à quêter la carte d’assurance-maladie de la blonde du frère d’une amie…
Mes horaires étant atypiques, je dînais toujours seule à la cafétéria. Puis un jour, un graphiste a été engagé. Il avait des horaires semblables aux miens, alors nous avons commencé à manger ensemble. Il avait vingt-sept ans (moi dix-sept), il avait un nom de famille belge et très littéraire (selon moi, évidemment) et il était beau. Très beau.
Ça a commencé par des conversations anodines au dîner, puis des livraisons impromptues de cappucino à mon bureau, etc. Durant les dernières semaines de mon contrat, il m’attendait dans le stationnement arrière pour me reconduire chez moi.
Nous sommes allés souper au restaurant deux ou trois fois, et j’ai poussé l’audace jusqu’à l’embrasser. Il était évident que nous nous plaisions, mais j’avais un chum et lui devait partir sous peu étudier en Suède.
Je me suis décidée à oublier cette (non) histoire, après tout G. revenait quelques jours plus tard, après tout nous nous aimions depuis si longtemps, et j’en aurais la confirmation en le revoyant. J’avais tout prévu pour son retour : j’avais loué une chambre dans une auberge 5 étoiles en Estrie, j’avais acheté un nouveau déshabillé, très classe, un nouveau parfum, et j’avais piqué une bouteille de vin au prix indécent dans le cellier de mon père, etc.
Le repas à l’auberge était fantastique, nous avons bien mangé et bien bu, et je commençais à être pas mal feeling lorsque nous sommes retournés à la chambre pour nous retrouver en bonne et due forme.
Je le laisse ouvrir une autre bouteille de vin pendant que j’enfile le déshabillé dans la salle de bain, nous buvons ladite bouteille en nous embrassant, et… j’éclate en sanglots. La totale, la grosse fontaine, les hoquets, les soubresauts incontrôlables… Je lui dis tout (en fait, pas grand-chose) sur mon ‘’aventure’’ avec le graphiste, je lui dis surtout qu’il me plaît énormément, que je ne sais plus où j’en suis, qu’il me faut du temps pour réfléchir à tout ça. G. se montre relativement compréhensif, met ma crise sur le dos de la distance, me promet que tout sera bientôt comme avant, il ne faut pas que je m’en fasse.
Sur le chemin du retour, nous roulons en silence. G. conduit et je regarde par la fenêtre, en pleurant silencieusement. C’est l’été de Manu Chao et c’est le seul cd qui fonctionne dans la voiture, nous l’écoutons donc en boucle pour meubler le silence. Le disque se met à sauter. Jouer over and over le même petit bout de chanson : Je ne t’aime plus, mon amour, etc. Nous faisons semblant de rien, aucun de nous n’a le courage de l’enlever du lecteur, alors on le laisse nous narguer. G. me dépose chez mes parents, entre pour boire un verre d’eau. Je descends ma valise au sous-sol, dans ma chambre. D’en bas, je l’entends écouter les messages sur le répondeur. Je remonte. Il me dit, les yeux pleins de larmes, que le graphiste a téléphoné pour me donner son adresse courriel, son numéro de téléphone en Suède et qu’il attend impatiemment que je le contacte. Je suis mortifiée.
Je dis à G. que je suis un peu fatiguée, il part et je vais me coucher. J’apprendrai plus tard qu’il n’était pas vraiment parti, il m’épiait par la fenêtre du sous-sol afin de voir si j’allais téléphoner au graphiste.
La voisine l’a vu et lui a posé mille questions jusqu’à ce qu’il quitte, humilié.
G. et moi nous sommes reparlés souvent, au cours des semaines suivantes, mais jamais de notre nuit à l’auberge ni du voyage en voiture en lendemain. À l’halloween, il a débarqué à l’improviste, déguisé en bossu, s’est mis à genoux devant moi (et mes parents, et leurs amis, …) et a tenté de me chanter À toi, de Joe Dassin, en pleurant. Nous avions touché le fond.
J’ai revu le graphiste quelques mois plus tard, il était en vacances à Montréal. Nous sommes allés souper au restaurant et il m’a invitée dans un party où je ne connaissais personne, tout le monde ayant au moins dix ans de plus que moi. Je me suis sentie ridicule, absolument ridicule. Lui aussi, sans doute, puisqu’il ne m’a jamais rappelée.
(y a une erreur dans l'adresse de ton lien)
RépondreEffacerC'est dur à battre, ton histoire!
RépondreEffacerOVERLOL & 2bravos @
"À l’halloween, il a débarqué à l’improviste, déguisé en bossu, s’est mis à genoux devant moi (et mes parents, et leurs amis, …) et a tenté de me chanter À toi, de Joe Dassin, en pleurant. Nous avions touché le fond."
Pissant de rire jaune.
Sur le coup, il n'y avait rien de drôle. Voir mon ex pétri d'orgueil s'humilier devant les amis de mes parents, ça fesse. Je n'ose même pas imaginer à quoi il pouvait penser en rembarquant dans son char, quelques minutes plus tard...
RépondreEffacerMais oui, avec le recul, c'est assez drôle, surtout en repensant qu'il était déguisé en bossu!
(le lien était vers serpentsetechelles.wordpress.com, je ne sais pas ce qui a foiré)
RépondreEffacer:( Je sais pas pourquoi, peut être parce que je suis pas une fille. Les histoires de gars str8 qui pleurent ça me bouleverse tout le temps plus que tout. On dirait que c'est tellement rare qu'ils le font que quand ça arrive, ça peut juste être vrai.
RépondreEffacerJe te jure que c'était effectivement vrai. G. est de cette espèce qui ne pleure pas, ou qui a une ''poussière dans l'oeil''. Pas démonstratif, pas particulièrement affectueux, grosse carapace, etc. Je suis assez semblable, notre relation était donc constamment un combat d'orgueils boostés à l'égo. D'où l'horreur de cette rupture, les deux nous avions flanché et montré notre vulnérabilité à l'autre.
RépondreEffacerEn y repensant, je me demande aujourd'hui si ce n'est pas plutôt ça qui a mis fin à notre couple. Il nous était peut-être intolérable de savoir que l'autre nous avait vu, vraiment vu...