Je suis l’aînée d’une étourdissante petite marmaille de trois enfants. Une véritable aînée, si je puis dire, puisque j’ai neuf ans de différence avec mon frère, et douze avec ma sœur. Je suis comme l’enfant imprévu qui se pointe le bout du nez en fin de lignée, mais dans le sens inverse. Je préfère dire que mes parents étaient si comblés par ma présence qu’ils n’ont pas réfléchi à l’idée de se reproduire à nouveau avant de nombreuses années.
À neuf ans, j’avais les cheveux courts et des lunettes en plastique rose avec motifs de clefs de sol dorées sur les branches. Je passais tout mon temps à lire dans ma chambre ou écouter des épisodes de Lady Oscar en m’imaginant être à sa place. Je comprends mes parents d’avoir voulu ajouter un peu d’action à leur vie de famille. ..
Mon frère vient tout juste d’avoir dix-huit ans. D’une certaine façon, c’est le rebelle de la famille : contrairement à ma sœur et à moi, il a décidé de rompre avec la tradition familiale (étudier de la maternelle à la fin du Cégep au même collège d’Outremont) en invoquant une incompatibilité de valeurs avec celles prônées par l’établissement. Par ‘’valeurs’’, il sous-entendait respect, discipline, rigueur…
Il étudie maintenant au Cégep Saint-Laurent (quand il y va…), se passionne pour l’histoire des guerres puniques et de la stratégie militaire et s’entraîne tous les jours grâce à son nouveau bench fraîchement installé dans sa chambre.
Lo a une blonde depuis un an, une belle fille brillante qui m’appelle pour que je lui conseille des livres ou que je l’aide à comprendre les comportements parfois erratiques de mon nonchalant de frère. C’est qu’il a hérité de la langue bien pendue des Gendreau-Lynch, fait preuve d’une insolence qui peut s’avérer fatale et est fan du CH au point de trouer le mur de sa chambre lorsque l’équipe perd lamentablement.
Mon père résume le tout en disant que Lo a un problème de gestion de sa colère. Ça nous fait sourire…
J’adore mon frère. Même lorsqu’il m’enrage en préférant jouer à NHL plutôt que d’aller en cours, même lorsqu’il engouffre goulûment tout ce que je cuisine et me laisse sa vaisselle sale sur le comptoir sans un ‘’merci’’, même lorsqu’il quitte la pièce pour se réfugier dans sa chambre au beau milieu d’une conversation, même lorsqu’il fait semblant d’écouter mes sages conseils visant à lui épargner la colère de mes parents en me regardant comme si j’étais une demeurée profonde.
J’adore mon frère, son impertinence qui me fait rire à tout coup, ses imitations parfaites de mon père, sa propension à vouloir battre tous les garçons qui s’approchent de ma sœur et tous ceux qui m’ont fait pleurer.
J’admire son insoumission aux conventions familiales, mon frère place son bonheur bien au-dessus des traditions, je ne faisais pas preuve d’autant de guts à son âge…
Ma sœur va avoir quinze ans dans trois semaines et correspond au profil type du dernier de famille. Elle fait du théâtre, est populaire auprès des garçons (beaucoup d’appelés, peu d’élus), sort toutes les fins de semaine (lire : va boire de la vodka au goulot et fumer des petits cigares aux fruits dans le sous-sol d’un gars du Collège Marie-de-France), passe ses soirées au téléphone avec ses amies (qu’elle surnomme affectueusement ‘’pétasses’’ et ‘’salopes’’) et prend dix mille photos d’elle dans autant de tenues American Apparel avant de les poster sur facebook.
Ma sœur Gaby parle avec un accent français, méprise tout ce qui bouge et adore le magasinage et les revues à potins. Elle semble sortie d’un épisode de Gossip Girl, avec la fâcheuse tendance à considérer que tout lui est dû qui va avec. Mon père, dont le discours pourrait faire l’objet d’un dictionnaire d’expressions imagées, affirme qu’elle a un caractère de ‘’jus de fond de vidanges’’.
Je dois l’avouer, je détestais les filles dans son genre lorsque j’avais son âge et elles me le rendaient bien. Mais Gaby est ma sœur, et je sais que derrière sa superficialité apparente, elle a un cœur immense, une volonté à toute épreuve et une sensibilité à fleur de peau. Elle me laisse des messages affectueux, me raconte les dernières péripéties dans sa vie de jeune ado désœuvrée, s’intéresse sincèrement à ce qui se passe dans la mienne.
Je déménage dans quelques jours et même si je suis impatiente d’être enfin chez moi, de retrouver mon intimité avec le Dandy, loin de la pagaille qui sévit dans la maison familiale, je dois admettre que les six derniers mois passés chez mes parents m’ont permis de solidifier les liens avec la fratrie. Je m’ennuierai sans doute parfois des conversations déjantées autour de la table de la salle à manger, des petits complots contre les parents, des blagues faites à leur insu et des séances nocturnes de confidences entre détenteurs du même bagage génétique.
Je quitte une seconde fois la famille dont je suis issue pour mieux construire ma propre descendance, je passe de l’autre côté, je deviens parent et je ne peux qu’espérer que mes enfants possèdent la même complicité qui régit ma fratrie.
Lo, Gabydoune, je sais que vous lisez ces lignes. Je vous aime.
C'est vraiment cute. Ils ont l'air kewl.
RépondreEffacerQuel beau portrait!!! C'est plein de vie, de tendresse et de douce ironie! J'adore. Un des très bon billet que j'ai lu sur la blogosphère depuis longtemps! Mes hommages, Votre Majesté!
RépondreEffacerMerci pour ce texte magnifique !
RépondreEffacerRévérence Majesté !